Il pleut violemment, le tonnerre gronde… Eh oui, Calcutta a bel et bien commencé sa période de Mousson. C'est étrange, mais c'est seulement le soir qu'il pleut, lorsqu'il fait déjà plus frais et lorsqu'on ne travaille pas. Bref, lorsqu'on en a le moins besoin ! La journée à Kalighat fût une fois de plus superbe. On s'est pointé à 8 heures, après un trajet en bus infernal et bondé puisque le métro était en panne aujourd'hui. Une fois au Nirmal Hriday ce matin, on a accompli le même rituel chez les hommes, et, heureusement, mon vieil homme était encore là. J'ai même une bonne nouvelle qui me rend très heureux: l'Allemand, chef infirmier m'a dit qu'il était "recovering", c'est-à-dire qu'il se remet petit à petit. C'est vraiment génial, car il y a encore quelques jours il était encore mourant et a même failli claquer la semaine dernière, avec machine à oxygène et tout le reste. Il va apparemment mieux, même s'il est toujours très calme. Il m'a quand même dit "thank you dost" aujourd'hui… ça veut dire: "merci l'ami". Un autre vieux bonhomme était très mal luné et en voulait à tout le monde, il a baissé sa culotte et s'est mis à pisser à côté de son lit pour emmerder toute l'équipe. Je me suis amené vers lui en lui faisant signe qu'on allait le gronder, alors il est devenu encore bien plus fâché, il a frappé son voisin de lit et a voulu me lancer son urinoir portable à la figure. J'ai attrapé son bras à temps. J'essayais de m'imaginer ce qui doit se passer dans la tête de tous ces gars qui venaient se faire soigner ici.
Ils sont mal en point, leur vie au dehors doit être atroce, et se résumer à peu de choses, ou en tout cas du moins, à tellement peu de confort et de moyens matériels. Ils se retrouvent ici dans un grand hall à côté d'inconnus, couchés comme eux sur des matelas alignés, et soignés par d'autres inconnus. Même si on est là pour les aider, je comprends que l'un ou l'autre pète un plomb de temps en temps, même si on fait de notre mieux pour les aider. Se sentir ainsi mal à tel point que l'on doive se faire soigner dans un endroit du dernier recours, en masse, comme ça, c'est clair que certains doivent se sentir très mal en eux… question de fierté personnelle, de fierté culturelle, d'orgueil sans doute. Puis je remarque qu'entre eux, entre Indiens en général et donc entre patients du centre, il existe certaines distances ou tensions. Questions de castes, de religion, ou d'autres scissions partisanes diverses qu'on ne pourrait même pas facilement cerner, étant en dehors de leur société. Photo de Pascal Mannaerts
Photo de Pascal Mannaerts C'est pour ça qu'évidemment, lorsque l'un ou l'autre est négatif voire désagréable avec nous ou avec les autres, en comprenant son malaise, on trouve l'envie d'encore plus s'occuper de lui en particulier, au lieu de se dire qu'il est chiant et de le mettre au coin. Se décentrer et comprendre le malaise de l'autre, avant de le juger et d'en tirer une conclusion qui serait trop rapide. J'ai pas mal causé avec une autre volontaire de 42 ans. Elle s'appelle Maria, super cool comme nana, c'est la première fois, à 42 ans, qu'elle se raboule en Inde, comme infirmière bénévole pendant 6 mois ici, et dans le sud près de Chennai. Elle est divorcée après 20 ans de mariage, et avait envie de voir autre chose que son pays, son confort apparent et ses clichés. Elle m'a dit qu'elle n'en revient pas, tellement elle s'éblouit de son expérience de jour en jour. L'après-midi, j'ai fait une petite incursion au dortoir des femmes pour dire bonjour à ma copine de hier, celle que j'avais portée dans sa chaise roulante pour l'emmener faire une prise de sang au dispensaire de Chowringhee. Elle était toujours aussi contente de me voir, j'étais heureux qu'elle m'ait reconnu. Puis, une autre fille est venue vers moi, encore assez jeune, elle doit avoir la quarantaine, et n'a pas l'air malade mais plutôt un peu dans les nuages. Elle s'est amenée vers moi, toute étonnée qu'un homme se pointe dans le quartier des femmes, puis elle m'a pris les mains et voulait danser avec moi ! On s'est mis à danser dans ce dortoir sous les regards des autres mamies qui se tordaient de rire avec les filles volontaires, elle se secouait et dansait comme une jeune fille. Alors qu'elle est malade et qu'elle tire d'habitude la tête, d'après ce que disent les autres volontaires...

Puis, les Françaises ont mis du rythme en fredonnant l'air du French cancan, on arrivait à danser synchronisés en se tenant les mains, c'était magnifique! Magnifique de voir toutes ces petites bobonnes tordues de rire, alors que d'habitude elles gémissent, dorment ou s'ennuient lorsque personne ne s'occupe d'elles en particulier. Je suis ensuite revenu dans le dortoir, et ma ballerine était en train de causer comme une petite commère avec 5 autres dames dans un coin, ce qu'elle -ne faisait jamais avant, apparemment. Peut être que ça l'a débloquée de se marrer un peu? Puis, dès qu'elle m'a vu, elle m'a montré au loin, depuis l'autre bout de la salle à ses copines, l'air de dire qu'elle leur présentait sa nouvelle " conquête " , et elle est revenue danser avec moi et Maria, on a formé un cercle à trois. Même Esther, qui fait toujours l'offusquée quand je lui adressais la parole, la petite naine trop terrible dont je parlais hier, s'amusait ! Puis je lui ai proposé de danser elle aussi, elle s'est marrée, toute timide, mais n'a pas encore accepté ma proposition...faut pas pousser ! Petit à petit ...ce sera peut être pour demain ! Les sisters avaient vu tout ça aussi, et m'ont remercié personnellement car ça faisait très longtemps " qu'elles n'avaient plus vu les femmes rire autant à Kalighat ". Je suis content qu'avec de si petites choses, elles ont passé une journée moins monotone et plus chaleureuse que les autres. On a quitté le centre vers 18h30, et les sisters m'ont dit qu'un groupe d'entre elles parlait encore de notre danse folklorique ! Demain, je retrouve donc mon mamies' fan club. Y en aussi une trop adorable qui doit avoir la bonne vingtaine, ils l'ont retrouvée dans la rue il y a peu. Elle a un de ces regard, tellement mystérieux, elle te fixe pendant des minutes sans bouger, puis te fait un petit sourire timide. Elle s'appelle Santcha Kumari Sarma. Encore un visage et un sourire inoubliable. Puis elle s'est mise à prendre mes mains pour lire mes paumes car elle pense être voyante... elle m'a dit d'aller au Kali Mandir, que j'aurais une révélation là-bas... On est resté dans le quartier de Kalighat ce midi. Il est tellement animé, on est allé manger dans un buibui tout simple et tout mignon, des pâtisseries indiennes écœurantes mais pas chères! Vraiment, c'est fantastique ici, dommage que vous ne voyiez pas tout ça! Ca doit être ça, se sentir Vivre avec un super grand V! En plus, se sentir vivre non pas seulement pour soi, mais en rendant effectivement service à d'autres! C'est trop le pied cette période de ma vie !




Les photographies sont la propriété exclusive de Pascal Mannaerts, elles ne peuvent être utilisées sans son accord explicite.