L'appareil photo est pour moi un témoin, un compagnon de solitude, un miroir, une manière de concrétiser ce que je vis. Je me trouve parfois dans des situations exceptionnelles et certainement délicates, dans lesquelles j'hésite à l'utiliser ou à le laisser blotti dans mon sac. Il me faut alors trouver équilibre entre la pudeur et le respect, et d'autre part, le témoignage et le désir de réaliser en chaque cliché un aspect proche de la réalité. Je me trouvais seul face à ce genre de débats intérieurs lors de crémations à Varanasi ou au Népal. Pouvais-je honorablement appuyer sur le déclencheur, ou devais-je m'abstenir ? Par pudeur. Par respect. Etait-ce respectueusement correct ? Même s'ils ne l'auraient pas su puisque je l'aurais fait en toute discrétion, avais-je le droit de voler une telle image à quelqu'un qui ne s'en rendrait pas compte ? | N'était-ce pas la logique d'un viol ? Etait-ce permis ? Me l'autoriserais-je ? Encore aujourd'hui, chez les lépreux, je me retrouvais face à ces questions. Et là, c'était encore différent de lorsque j'étais face aux crémations. Aujourd'hui, c'était carrément eux qui me demandaient de les photographier. En général, lorsque telle est la situation, j'immortalise le moment sur photo. L'aspect témoignage du réel prime sur les éventuels remords ou prises de consciences subjectives que je trouverais dans un réservé frileux et finalement stérile. J'essaie juste de rester discret, au cas où l'acte en lui-même de tirer une photographie serait de nature à choquer l'âme. Je me dis que si nos yeux sont autorisés au spectacle, pourquoi dès lors un autre œil en serait-il banni ? Un œil autre, mais un œil tout-de-même, témoin supplémentaire et privilégié pour faire partager à l'autre certaines visions de ce monde, même si elles sont plus insolites. |