Calcutta, Salvation army, 23 mai 2002
Il fait chaud, très chaud, tellement chaud, trop chaud… Cette enveloppe de chaleur et d'humidité m'inhibe, me saôule et me rend totalement inerte. J'ai envie de dormir, mais m'allonger sur le matelas dans le dortoir sous le ventilateur est même désagréable. Après quelques minutes, il fait tellement lourd que j'ai le désir de me lever. Pour aller où ? Il n'est nul refuge de fraîcheur ici, si ce n'est le cybercafé " de luxe ", à 10 roupies de l'heure, qui dispose d'air conditionné. Je paresse. Me bouger pour entreprendre quelque chose me demande un réel effort. Que donnerais-je là pour avoir maintenant une grosse pluie qui nous serait apaisante et purificatrice ! Je comprends que dans les cultures des pays chauds, les peuples divinisent l'être de pluie. Ici, elle est cadeau sublime. Je comprends aussi qu'ils soient calmes et nonchalants. Le climat habille et conditionne le tout. Comment mener le rythme de vie des pays Occidentaux sous une chaleur pareille ? C'est carrément impossible.


Calcutta, Salvation army, 14 mai 2002
Quand je vois à Kalighat tous ces gens occupés à s'éteindre de maladies des plus diverses, je retrouve toujours cette question du pourquoi. Pourquoi la corruption de l'être, pourquoi cette saleté qui ronge l'homme jusqu'à l'anéantir intégralement ? Pire est que le danger reste invisible. L'adversaire est lâche. On ne le voit pas, il se masque. Il gît. Il agit dans l'obscur, dans ses arcanes de combat et de stratégies cruelles. Le Mal s'infiltre dans leurs veines, il corrompt leur propre sang par on ne sait quel stratagème. Il pénètre leur chair, leurs organes, sans rien dire. Sans se justifier, il détruit leur vie entière, petit à petit. J'aurais envie de questionner cet ennemi. Essayer de comprendre pourquoi il s'adonne au malin plaisir de la destruction de l'humain. Du faible. Pourquoi ces souffrances ? Pourquoi ces morts ? Au nom de quoi se déchaîne-t-il? A partir de l'instant où l'on rejette toute idée de châtiment divin sur l'entité physique, l'effet en devient absurde. Un non-sens absolu. Une stérilité réaliste lorsque l'on ignore ces concepts de réincarnation en fonction d'une vie antérieure au karma peu glorieux. L'ennemi se déhanche. On ne le distingue pas, on ne le touche pas. Il voit le fruit de sa récréation, il voit sans être vu. Il commande depuis je ne sais où, il prend plaisir. Il s'offre un orgasme nihiliste de cruauté. Et si toutes ces bactéries n'existaient pas ? Si ces souffrances et ces défaillances physiques ne prenaient forme ? Et si chaque avait droit à une mort qui ne soit que mort de vieillesse ? Comme une fin de bail, non comme un séjour cruellement écourté d'un préavis inévitable, et d'une injustice ultime ?