La folle mousson s'abat sur nos têtes. J'avais pourtant déjà connu la Mousson il y a deux ans en Inde, mais elle n'avait jamais atteint une telle violence. J'étais au bui-bui de Raju jusque vers 21 heures. C'est en sortant que j'ai découvert les trombes d'eau qui chutaient des cieux et qui semblaient vouloir ruiner la ville. Les Indiens considèrent ces phénomènes naturels comme une bénédiction divine. Ils les appréhendent tels des présents offerts par les Dieux, alors que moi, ces scènes m'évoquent plutôt des visions d'apocalypse. J'aime ces images de violence naturelle, ces tableaux de délabrements soudains et ces perceptions que la nature se réapproprie l'Homme sans qu'il puisse y opposer quelconque contrôle. Les rues se remplissent de plus en plus, à une allure effrayante. En quelques minutes, l'eau atteint les entrées des échoppes et des habitations.
Photo de Pascal Mannaerts Quelques rickshaws s'aventurent encore à pieds sous la pluie, entre les vagues de remous de cette marre de crasses qui se fracassent sur les parois des bâtisses. Et cette eau noireet ces détritus de toutes sortes qui y flottent en liberté, dessinant cette espèce de soupe urbaine répugnante, une véritable Venise d'ordures. Je suis d'abord resté dans le cybercafé, attendant que les évènements se calment pour m'aventurer au dehors. Au plus j'attendais, au plus le niveau des eaux montait et au plus j'aurais eu difficile à me frayer entre les flots. Je me suis lancé et lorsque la foudre se mettait à gronder, je m'abritais quelques secondes, selon les disponibilités. C'était cette même impression que je ressentais dans les mers du Mexique ou de Thaïlande, où les eaux sont peu profondes et où l'on peut marcher des dizaines de mètres avant de se retrouver réellement dans l'eau pleine.
Cette eau lourde à pourfendre de mes pas, cette résistance naturelle à freiner mon élan d'avancer dans ces profondeurs et découvertes : des sacs de plastique, des légumes, des emballages de toutes sortes qui flottaient à la surface de manière inopinée. Je piétinais aussi un tas de choses dont je ne connais ni la forme, la nature, ni la consistance. Le mystère est total. Mieux vaut ne pas trop songer à ce qui devait se cacher sous mes pas. J'ai perdu ma tongue en chemin. Elle voguait comme une barque dans ces flots boueux. Je l'ai rapidement remise au bon pied, prenant précaution de ne pas m'étaler de tout mon long dans cette mixture d'amibes et de pourriture. Photo de Pascal Mannaerts

Les Indiens étaient comme à l'habitude spontanés, enthousiastes et prêts à l'humour. Un jeune type m'a accompagné pendant quelques mètres, me demandant si je comptais m'acheter un bateau, parce que la saison ne faisait que commencer. Il m'a juste demandé de quel endroit du monde je venais, puis a tourné dans une rue sur la droite. Maintenant, je suis de retour à la Salvation army. J'allais dire "au sec", mais ce n'est même pas le cas, car le plafond du dortoir a suinté sur mes affaires. Youpi, juste dans le coin sur le tas de fringue ! On aurait dit que c'était tout juste pile bien visé ! J'entends encore la pluie et l'animation humaine au dehors. J'entends les enfants crier, ils s'amusent dans l'eau. Les gens font la fête. C'est génial. Je pars les rejoindre.




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