La Mousson s'est abattue sur Calcutta. Les rues sont sous eau, les commerces
improvisés sont repliés à la hâte ; leurs étals prenaient l'eau sous leurs abris
de fortune. L'Homme s'arrête. Il contemple le déchaînement divin qui lui rappelle
que son dieu est là pour l'apaiser. C'est le temps d'une pause
conventionnellement acceptée, socialement réglementaire et tacite. Il fait incroyablement calme.
La cerise sur ce gâteau détrempé est une obscurité quasi-totale dans laquelle
se plonge le quartier. Une panne de courant immerge le coin dans le noir le plus
total. L'éclairage se fait à la bougie. Les pluies se déchaînent pendant une vingtaine
de minutes. La ville a changé de visage… les rues sont canaux et les générateurs se
font entendre ça et là. Ils semblent avoir momentanément
remplacé le travail de l'homme qui se désinhibe petit à petit de cette intermission
d'eau fraîche.
|
|
|
|
|
Les rues sont remplies de détritus en tout genre, les trottoirs sont
jonchés de cadavres de noix de coco et de feuilles d'arbres formant
un masque visqueux et noirâtre qui recouvre les rues. J'avance en
m'enfonçant légèrement dans cette pâte douteuse. Je n'ose pas trop
songer à ce qui doit se déguiser sous mes pieds dans cette eau de
questions. Je préfère ne pas le savoir. Mes pas sont lents. Je reste
prudent pur ne pas me heurter sur une des dénivellations du trottoir
et envoyer le tout à la flotte. Mes pas sont freinés de par la force
résistante de l'eau. J'avance à peine, les autres marchent à la tortue
un peu partout. Je suis un des premiers dehors depuis que la pluie a cessé,
je traverse la Sudder street.
J'aime l'image de cette pluie-catharsis qui s'abat violemment sur Calcutta... la pluie
qui nettoie, qui rince, qui purifie, qui apaise. La pluie qui balaie les crasses
et assainit les blessures, qui se mélange aux larmes et les fait disparaître...
mais la pluie qui pourrit aussi les maisons d'humidité, qui rend les conditions
de vie ici encore moins supportables, qui envahit les rues et ce qui sert d'habitation
à de tellement nombreux habitants...cette pluie qui ravage.
|
Elle ne s'arrête quasiment plus de tomber depuis maintenant deux jours. Ou, si elle
s'arrête, c'est le temps d'une courte pause, et elle reprend de plus belle. Les rues sont
envahies, le niveau de l'eau varie, passant parfois du mi-mollet au genou. L'eau est brunâtre
et vaseuse par endroits. Et la vie continue tant bien que mal dans Calcutta. Les rickshaws-wallahs
continuent à transporter leurs passagers pieds nus, à la force de leurs bras et de leurs jambes.
Ils doivent survivre. Pour la plupart, un jour sans business est un jour sans manger, d'autant
plus qu'ils doivent payer la location quotidienne de leur instrument de travail à un mac mafieux.
Les vendeurs de rue continuent leurs activités, abritant leurs cuisines portables et de fortune à
la hâte sous des bâches, lorsque la pluie devient trop menaçante.
Les gamins préparent toujours le thé, dès 6 heures du matin, à la rue, les pieds dans l'eau, sur
leur petit réchaud ancestral, comme si de rien n'était. Les mendiants sont toujours là pour te
gratter quelques roupies. Je ne sais pas où ils ont passé la nuit. Sous un porche? Sur les marches
du musée? Dans la flotte? Sans doute n'importe où, du moment que l'eau ne les envahisse pas, ou
le moins possible. Ils luttent contre les caprices de la nature, ils doivent le faire parce qu'il
n'y a pas de temps pour se plaindre ici, ou pour contempler leurs difficultés. Ils doivent survivre,
peu importe à quel prix et dans quelles conditions.
Les photographies sont la propriété exclusive de
Pascal Mannaerts, elles ne
peuvent être utilisées sans son accord explicite.