26 aout 2005

La race, une scorie constitutionnelle.

Et si la notion de race disparaissait des textes constitutionnels ?
Derrière cette réforme de l'écriture des textes se cache probablement l'un des basculements idéologiques les plus profonds sur notre conception des rapports des individus entre eux, mais aussi entre l'individu et "l'entité société".

La disparition du mot race.
Le mot a du mal à trouver une définition scientifique valable. Sous-produit du mot "espèce" (qui chez les animaux sexués correspond en gros aux êtres capables de se reproduire entre eux), il correspond dans les faits à isoler un groupe sur le critère de caractéristiques arbitraires, cet isolement ayant pour but de préserver ces caractéristiques. Cette distinction a des buts idéologiques ou identitaires et, par nature, est paranoïaque. Prendre comme référence des caractères dus aux hasards aboutit invariablement à un combat sans espoir pour les stabiliser alors qu'elles sont intrinsèquement instables (la race des blogueurs ne restera pure que si on interdit tous les blogs dont l'auteur ne s'appelle pas bloggy).

Son remplacement.
Dans un texte légal, il peut être nécessaire de constater ou de faire référence à des différences entre individus ou groupes d'individus : alors par quoi remplacer "race" ? Je propose plusieurs mots complémentaires : l'individu est biologiquement défini par son patrimoine génétique ; les individus d'une espèce partagent le même ensemble de gènes. Génotype me semble être un premier élément de réponse (en l'état actuel de nos connaissances). L'individu est perçu à travers des caractéristiques physiques extérieures. De génotype on pourrait passer à phénotype (les individus aux yeux verts), mais cela ne prendrait pas en compte les caractéristiques dues aux "accidents" (les manchots, les changements de couleur de peau suite à une maladie, ). Il me semble donc que l'on doive en rester à un terme moins scientifique : apparence me semble un bon candidat.
L'individu communique, il est donc perçu aussi à travers ce qu'il pense : croyance, philosophie, idéologie, ou a contrario, absence d'une pensée individuelle décelable. Identité spirituelle me paraît être un troisième élément candidat. Les groupes d'individus adoptent naturellement des comportements communs en terme de fonctionnement social, de normes, de mythes identitaires, de références artistiques Culture est un quatrième qualificatif naturel (bien qu'il ait des chances d'être mal compris).

"Race" me semble donc pouvoir être remplacé par le groupe de termes suivants : génotype, apparence, identité spirituelle et culture.

Par exemple, l'article 1er de la constitution deviendrait :
" elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens (définition ?) sans distinction sur le génotype, l'apparence, l'identité spirituelle, la culture. Son organisation est décentralisée."
Au lieu de :
" elle assure l'égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d'origine, de race ou de religion. Elle respecte toutes les croyances. Son organisation est décentralisée."

Autre exemple, l'article 21 de la charte des droits fondamentaux deviendrait :
"Est interdite, toute discrimination fondée sur le génotype, l'apparence, l'identité spirituelle, la culture, la fortune, la naissance, l'âge ou l'orientation sexuelle."
Au lieu de :
"Est interdite, toute discrimination fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, les origines ethniques ou sociales, les caractéristiques génétiques, la langue, la religion ou les convictions, les opinions politiques ou toute autre opinion, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance, un handicap, l'âge ou l'orientation sexuelle." (Et encore, pour ce qui est de la sexualité, il est probable que cela puisse être une conséquence combinée du génotype, de l'identité spirituelle et culturelle. N'en étant pas définitivement sûr, je l'ai gardé en l'état).

Jusque là, cela doit pouvoir coller. Maintenant, pour en mesurer les effets, testons cette définition aux frontières, c'est à dire là ou l'évidence nous empêche habituellement de penser

Frontière 1 : que se passe-t-il en cas de mutation génétique d'un être "non-intelligent" vers un être ayant une intelligence comparable à la nôtre, ou l'apparition d'un "extra-terrestre" intelligent. Le fait que vous veniez probablement de sourire indique que nos textes sont d'abord faits pour nous, les humains. L'universalité recherchée est donc singulièrement limitée. Si je veux bien omettre l'idée des extra-terrestres, il est par contre certain que nous serons un jour confronté à un "homo neo-sapiens" où à une nouvelle espèce capable de communiquer à un niveau comparable au nôtre. Conclusion : pour prétendre à l'universalité, nous devons dépasser notre identité d'humain.

Frontière 2 : le cas de l'apparence est le mieux traité par nos textes actuels, le racisme étant historiquement lié à la couleur de peau. Je ne vois pas ici de cas limite. Reste à l'appliquer

Frontière 3 : l'identité spirituelle a été largement traitée par nos textes, mais nous ne sommes pas arrivés à une situation claire et les bornes sont difficiles à poser. La tradition laïque de la France veut traiter à égalité les religions mais combat les sectes en faisant une distinction "arbitraire" entre les deux, d'autres pays posent la prééminence d'une religion sur les autres, certains cherchent à les éradiquer, certains groupes n'accordent pas le statut d'égaux à des hommes pour des problèmes de considération spirituelle (même un être aussi éclairé que Montesquieu a écrit de parfaites horreurs sur le sujet, ne nous croyons pas à l'abri ; voir également le film La controverse de Valladolid)... Qui a raison, quelle identité spirituelle est universellement acceptable, laquelle ne l'est pas ? Une mauvaise réponse à cette question conduit généralement à la guerre. Ici se choquent nos conceptions imparfaites de liberté, de bien et de mal, de certitude.

Frontière 4 : le cas de l'élément culture est le plus grand défi. Les textes légaux liant génotype, apparence et même identité spirituelle régissent l'individu. Aborder légalement le "niveau culture", c'est comme si un de vos globules rouges cherchait à écrire une loi pour l'individu que vous êtes. La culture ne se réduit pas à la somme des identités spirituelles des individus qui la partagent (réductionnisme), elle ne se "décide" pas, et à cause de la diversité et du nombre d'identités culturelles, nous devons légalement la traiter. Considérations philosophiques lointaines ? Non. Si la Vème république a fini par arriver à un stade ou l'opportunisme et la malhonnêteté priment sur le bien commun c'est que "l'être culturel Vème république" conditionne structurellement ses serviteurs à ce résultat. L'individu au sein du groupe a la destiné commune du groupe, sauf à changer "l'être culturel de ce groupe", il ne peut y échapper quels que soient ses mérites en tant qu'individu. Le défi est donc de pouvoir écrire des lois justes pour cet "être culturel", tout en sachant qu'en tant qu'individu nous ne pouvons avoir, au mieux, que l'intuition du résultat. Conclusion : progresser sur le plan constitutionnel tient autant de la divination que de la réflexion !

17 aout 2005

Ni pétrole, Ni idée : Un avenir ?

Le prix du pétrole monte et il n'y a aucune raison de croire à une inversion de tendance, ni demain, ni jamais. Ces dernières années, son prix était fixé au gré des spéculations plus qu'en raison d'éléments objectifs. Mais voila, la Chine sort à grande vitesse de son sous-développement et précipite de quelques années la fin de l'aire du pétrole, ou de façon plus directe pour nous, la fin du moteur à explosion de nos si chères voitures. On nous dit qu'il reste au moins 30 ans de réserve. Propos sans importance et de toute façon sujets à caution : d'abord parce que les compagnies pétrolières ont intérêt à gonfler les chiffres de leurs réserves pour gonfler celui de leur cours de bourse, ensuite parce qu'il est bien difficile d'estimer le besoin réel en pétrole à l'avenir (que se passera-t-il si l'Inde suit le même chemin que la Chine) et enfin parce qu'il ne prend pas en compte les phénomènes d'affolement qui précèdent les pénuries. On a vu des stocks de pâte et d'huile se constituer pour moins que cela !

Que faire alors ? Surtout ne pas utiliser nos moyens pour amortir et retarder cette envolée. Oui les transports vont être pour un temps hors de prix, oui nous allons devoir réduire nos migrations routières. Et alors ? Un coût de transport en hausse c'est également un surcroît de compétitivité pour les productions locales et au contraire une pénalisation des importatation des biens de faible valeur. Je ne vois pas de mal à ce que mon supermarché du coin aille s'approvisionner dans les champs de l'agriculteur de mon village ! Nos transporteurs routiers pourront se réjouir de se retrouver à armes égales avec leurs concurrents européens puisque la part relative des coûts salariaux deviendra plus faible en regard des coûts énergétiques. Moins de voitures qui roulent signifie également moins de pollution, qui s'en plaindra ?
Par ailleurs, contrairement aux années 70, des technologies de substitution au pétrole existent. Jusqu'à présent, elles n'étaient simplement pas rentables. Commençons par supprimer les limitations stupides de production d'huiles végétales pour remplacer le pétrole (ce qui au passage résout les problèmes de subventions déloyales, relance l'activité sur des zones délaissées ou mises en jachère, soulage notre facture d'importation et augmente notre autonomie énergétique, rien que cela). Ensuite déployons là où cela a un sens, des motorisations électriques ou a minima, mixtes, en réorientant les transports de marchandises lourdes vers le fluvial ou le féroviaire (depuis le temps qu'on en parle) et pour les secteurs où nous n'avons pas encore d'alternatives à grande échelle (aéronautique, naval), finançons la recherche (nous en avons encore le temps et les moyens).

Quelles seraient les conséquences directes pour le citoyen ? Pendant quelques années, une diminution de ses déplacements qui devraient le ramener à ceux de nos parents dans les années 70 (ciel, leurs voitures atteignaient à peine le 150 à l'époque !), un surcoût pour s'équiper avec les technologies les plus économiques en énergie ou en produisant localement cette énergie (une éolienne domestique peut produire 1 kW, suffisant pour alimenter le frigo et l'éclairage de la maison en continu).

Il y a fort à parier qu'en cinq ou dix ans, le basculement technologique aura été fait, pour le plus grand bien de notre santé, de nos enfants, et sur le long terme, de notre portefeuille ! Car n'en doutons pas, si jamais nous amortissions fiscalement aujourd'hui cette hausse, nous ne ferions que retarder l'inéductable en amplifiant ses effets : ce qui est facile à faire aujourd'hui avec un pétrole entre 60 et 100 dollar le baril, risque d'être calimiteux dans dix ans avec ce même pétrole largement au dessus des 100 dollar !

Pour finir ce post, permettez-moi de méditer sur cette petite histoire.
Le peuple de Rapa Nui habitait une ile perdue au milieu de l'océan. La terre était fertile et la civilisation prospère et culturellement florissante. Hélas, à une certaine période, ils ont eu un gros problème : leurs arbres se sont mis à être de plus en plus rares (changement climatique, maladie, déforestation volontaire suite à une augmentation de la population, ?). Toujours est-il que plusieurs solutions pouvaient être avancées : chercher à replanter énergiquement des forêts cultivées, construire des bateaux pour trouver une solution ailleurs... Celle qui a été choisie fut de se concilier les bonnes grâces des dieux et des ancêtres en leur sculptant des statues de plus en plus impressionnantes, ce qui avait un gros désavantage immédiat : cela augmentait les besoin en bois pour transporter et dresser ces statues. Les ancêtres n'ont pas été convaincus et ce peuple a été ravagé par les guerres et les famines avant d'être réduit en esclavage. Tout cela s'est passé au XVIème siècle sur l'île de Pâques. C'est à ma connaissance le seul cas historique où une civilisation a été confrontée à la disparition d'une ressource vitale.

Sommes-nous capable de faire mieux qu'eux ?

6 aout 2005

Conscience, irresponsabilité et formol

La "découverte" de 351 petits cadavres stockées dans une pièce mortuaire choque notre sensibilité.

Il est humainement douloureux d'être mis en présence de ces petits êtres à qui la vie a refusé le droit de devenir des enfants. La mort est notre destinée commune, celle des enfants une injustice qui nous est faite, et celle de ces petits une douleur que notre conscience peine à nommer.

Notre société aussi peine à se prononcer sur qui ils sont : nous avons toujours reculé lorsqu'il s'agissait de définir quand se faisait le passage de l'existence biologique à l'existence en tant que membre de notre société ou individu aux yeux de loi. Nous errons entre des réponses religieuses plus ou moins simplistes et à géométrie variable (je crois me souvenir que Saint Thomas d'Aquin pensait que l'âme "infusait" progressivement dans ce petit d'homme en devenir), celles individualistes et militantes ("il s'agit de mon corps, donc seule ma volonté compte") et de vraies lâchetés qui fuient à tout prix la charge de définir ce qui, pour notre société, constitue la frontière de la non-existence et la vie, et plus tard, celle de la vie et la mort.

Bien que récentes sur certains points, nos certitudes sont bien peu nombreuses et faibles sur le sujet. Aujourd'hui, nous nous définissons par notre code génétique et les libertés et interdits fixés par la loi. Notre dimension spirituelle (notre âme), est une notion qui semble s'être dissoute dans le matérialisme du XXème siècle (même du point de vue de la vision populaire de la religion). Et pourtant, qui accepte de ne se voir que comme une machine biologique en interaction avec le monde qui l'entoure via des impulsions naturelles et des limites légales ?
Si c'était le cas, ces petits cadavres ne devraient provoquer qu'une réponse administrative légale contre des médecins qui s'affichent comme trop occupés par les charges administratives, professionnelles et politiques qu'ils s'ingénient à cumuler au delà du raisonnable et de leurs capacités, ou ces médecins qui se réfugient derrière le poids des "habitudes" et d'efforts de bioéthique (par ailleurs réels - les efforts).
Mais ce n'est pas le cas. Pour toutes ces mères qui ont porté ces enfants et qui n'ont pu les mener à la vie, il s'agit d'une part d'elle-même qui non seulement n'a pas vécu, mais qui a en plus reçu l'outrage de n'avoir pas le droit de mourir !

Non la vie ne se limite pas à une définition chimico-légale et si notre raison peine à affronter ces faits, notre conscience nous le rappelle, dans l'effroi, la douleur ou la consternation.

Il appartiendra à ce siècle de mettre notre corps et nos lois en accord avec notre âme.