29 Décembre 2005

Cyber Bébé

Ma fille a eu son premier vrai Noël cette année. Noël est par essence la fête familiale qui fait le lien entre les générations de la famille, et construit les futurs souvenirs de l'enfant avec des éclats des propres souvenirs d'enfant des adultes. Je ne m'attendais donc pas à tirer des enseignements prospectifs d'une telle journée. Eh bien, j'avais tord.

A un an, les cadeaux de ma filles sont orientés vers la traditionnelle peluche câlin et les jouets d'éveil. Cela est sans doute le résultat de quelques décennies de discours sur la psychologie et l'éducation des enfants, mais surtout celui d'une reprise réussie par quelques marketteurs efficaces : il faut solliciter le bout d'chou, stimuler son attention, abreuver sa soif de découverte. Naïvement, j'en étais resté à la chanson des crocrodiles, aux palets à empiler et aux formes colorées à faire passer dans des trous.

Papa, t'es pas dans le coup, bébé communique avec le monde par l'électronique.
Eh oui, les casseroles aussi chantent maintenant, et reconnaissent qu'elles sont les unes dans les autres lorsqu'on les empile, ou qu'elles sont dehors. La poupée discute, pose des questions et exprime sa joie lorsque l'on répond. Quant à la chaise, elle chante lorsque l'on s'assoie dessus et dit rouge lorsque la lampe est rouge. Dans le monde cybernétique de bébé, les objets communiquent de façon cohérente avec lui. Et voila un bien étrange monde en vérité, car il est bien plus avancé et étendu que le mien. Après tout, pourquoi ma chaise banale ne pourrait-elle pas devenir elle aussi cybernétique, m'accueillir, prendre ma position assise préférée voire me masser ou me réchauffer le dos. Et lorsque je suis à mon bureau, ma lumière à moi est bien passive comparée à celle de ma fille : j'aimerais qu'elle me demande si elle doit s'allumer lorsque la luminosité diminue, ou qu'elle s'éteigne toute seule lorsque je ne suis plus dans la pièce. Et pourquoi s'arrêter là ? Pourquoi ne pas étendre mon champ de perception et d'acquisition d'information au delà de mes limites d'aujourd'hui. A un niveau simple, ma fille communique avec une poupée. Dans un monde d'adulte, où que je sois, j'aimerais faire de même en communiquant avec mon ordinateur qui, ouvert sur internet, pourrait m'apporter à la demande toutes les informations du monde. Ce monde d'adulte cybernétique n'est pas une nouveauté, mais pour moi, c'était jusqu'à ce Noël le monde de Star Trek. Or j'ai découvert, qu'à son échelle de bébé, ma fille vivait déjà dans un tel monde. Et il y a fort à parier que la technologie suivra l'évolution de mon cyber bébé et qu'elle vivra dans un environnement qui repoussera technologiquement les frontières de son identité d'être humain : perception incroyablement étendue, possibilités d'action incroyablement démultipliées. Homo cyber sapiens est en train de naître sous nos yeux.

12 Décembre 2005

Passer la Vème

Difficile de ne pas avoir remarqué que le tacot de la Vème république, à force d'être rafistolé, à cause de réparations peu judicieuses et surtout un usage non conforme au manuel d'utilisation, a fini par manquer d'allant et ne semble plus en mesure d'emmener ses passagers vers un avenir meilleur.
Certes, il existe encore quelques mécanos aussi optimistes qu'amoureux de leur art pour dire qu'avec des évolutions judicieuses, ce brave véhicule qui nous a assuré des décennies de stabilité et de prospérité, peut encore faire de l'usage. J'aimerais bien qu'ils aient raison car le changement est toujours un moment de stress intense, aussi bien par l'attachement à l'histoire passée que par l'incertitude de la nouveauté (ce n'est pas parce que c'est nouveau et flambant neuf que cela marchera forcément mieux).

Mais voila, que ce soit demain matin ou un peu plus tard, la fin approche nécessairement et le seul vrai choix que nous avons et celui de la casse ou d'une retraite heureuse et apaisée au musée de la république. Quant à faire, je préfère le musée, mais faut-il encore être prévoyant et mettre en chantier le futur bolide de nos rêves. Là, cela se corse singulièrement.

S'il est facile d'imaginer les évolutions nécessaires de la Vème (réaffirmer les principes fondateurs, redonner un pouvoir au parlement, réformer la justice et la rendre enfin indépendante, interdire la dissipation des énergies dans une collection de mandats, ...), il est beaucoup plus hasardeux de repartir de zéro et de se lancer dans une refondation.
On sait certes ce que l'on ne veut pas (marécage politique d'assemblées sans majorité nette et stable, bonapartisme qui n'est en fait pas très loin du modèle antique du tyran élu, aristocratie d'une élite auto-désignée ou cooptée et totalement décalée par rapport à la désormais célèbre France d'en bas).
Par ailleurs, un certain nombre d'éléments se sont imposés à nous : l'état a largement disparu en tant qu'acteur sur le soutien aux besoins fondamentaux de l'individu et a été remplacé par les mouvements associatifs (ce sont les restos du coeur qui fournissent le niveau minimum de soutien alimentaire, l'état est aussi étrangement faible en ce qui concerne l'assistance aux éjectés du système et semble désespérément impuissant à fournir un minimum de mètres carrés chauffés décents aux plus démunis). De façon plus surprenante, ce même état se fait déborder également sur le domaine de la recherche où des opérations types téléthon réussissent à mobiliser les citoyens qui financent directement un certain nombre de programmes de recherche médiatiquement porteur. L'enseignement quant à lui est resté sur un statut quo entre domaine privé et domaine public (qui a bien du mal à être défendu quel que soit le ministre en place). Enfin, la justice a été incroyablement fragilisée par un fatras de lois de circonstance et donc sans vision globale, mais aussi par des interférences récurrentes en matière d'instruction des crimes et délits.
Que reste-t-il vraiment à cette pauvre république ? Armée et police (domaines globalement peu contestés bien que de plus en plus relayés localement pour la police), finance (de plus en plus partagé sur le plan européen), infrastructure (mais renvoyé aux bons soins des régions), diplomatie (en perte d'influence et en recherche désespérée d'un modèle européen). Quant aux missions de service public en général, elles sont plus l'objet de débats partisans que d'une réflexion mise en oeuvre pour le bien de la communauté, hélas.

Il apparaît finalement que notre tacot républicain, cinquième du nom, s'est délité dans deux directions : l'Europe administrative, législative et financière, et les régions pour ce qui touche directement les citoyens. Si ce constat s'avère fondé, il n'y a pas beaucoup d'efforts à faire pour se projeter dans un modèle de démocratie antique grecque, fondée sur une ville et sa région proche. Le nouveau bolide républicain pourrait donc être structurellement articulé entre une structure européenne en charge de l'orthodoxie budgétaire, garante des principes généraux (de droit, d'harmonisation entre les peuples, de finance, ...) et des structures régionales garantes des équilibres sociaux, acteurs économiques et en phase avec les identités culturelles.
Cette république serait également une réponse à la mondialisation permettant d'interposer un interlocuteur visible et puissant, tout en garantissant le respect des cultures, des terroirs et des individus. Ce modèle a sans doute été rendu viable (ou le sera) grâce au passage d'un seuil de richesse minimum : à partir d'un certain niveau, la richesse disponible permet d'assurer les besoins fondamentaux et même d'investir sur l'avenir, et ainsi de transférer le rôle de grosses entités comme les états vers de plus petites comme les régions.
Ces phénomènes de seuil me paraissent à ce jour trop mal compris et analysés alors qu'ils sont sans doute les déclencheurs de révolutions structurelles profondes.